Le secteur de Labastide-Rouairoux a été occupé avant même la période préhistorique, même si des fouilles archéologiques ont livré peu de traces. Le vestige le plus important est le dolmen de la Gante, classé monument historique, en bordure de la D.64 en direction de La Salvetat sur Agout. On trouve aussi quelques mentions dans la toponymie: menhir du “ Prat de la Bolo” à Cathalo, A quelques kilomètres, le Musée de la Préhistoire de Saint-Pons fait le point sur cette civilisation.
A l’époque gauloise, la rivière Arn, au Nord, formait vraisemblablement une frontière entre les tribus des Volques Tectosages (capitale Toulouse), et les Ruthènes (capitale Rodez). Après la ”guerre des Gaules”, la conquête romaine amène, avec sa langue latine et sa culture, de grandes voies de passage dont il subsiste ici et là quelques tronçons empierrés. Notre secteur était concerné par une voie gallo-romaine qui venait de Nimes et allait jusqu’à Vieille-Toulouse par Gignac, Clermont l’Hérault, Bédarieux, les vallées de l’Orb et du Jaur, le col de la Fenille. Cette voie réduisait la distance entre les deux capitales volques à environ 180 milles. Toutefois, il faudra attendre jusqu’en 1788 la Route Royale, devenue RN 112 et aujourd’hui D.612, qui passe sur le pont qui enjambe le Thoré.
A l’époque carolingienne, Raymond III Pons fonde une abbaye à saint Pons de Thomières. Dans la charte de novembre 936, rédigée en latin de l’époque est mentionnée pour la première fois le nom de la paroisse de Saint Saturnin de Bison qui avait dû être installée un siècle ou deux auparavant. Voici le texte original en latin et sa traduction en français:
“...damus similiter totum allodium et totum potestativum de omni parrochia Sanctus Saturnini de Bison cum ipsa ecclesia et cum omni territorio usque ad pontem de Elbina: confrontatur ab oriente cum dominio de Soriera , a meridie in summitate montis Colim, ab occidente in Ponto Silvestri aquae de Elbina, ab aquilone rivo de Toaret; omnis honor predictus est in episcopatu Narbonensi...”
“...de même, nous donnons toutes les terres en pleine propriété et tout le pouvoir de de toute la paroisse de Saint Saturnin de Bison, avec son église et tout le territoire jusqu’au pont d’Albine. Les limites sont: à l’est le domaine de Sérières; au sud, le sommet du mont Colim ( Roc des Biaunes ? ), à l’ouest jusqu’au Pont Sylvestre des eaux d’Albine, au sud jusqu’au ruisseau du Thoré; toute cette donation est située dans l’évéché de Narbonne...”
Le blason actuel de Labastide, qui date de 1942 reprend les initiales SSB pour Saint Saturnin de Bison. A l’époque féodale, l’histoire de la paroisse de Saint Saturnin de Bison se confond avec celle de l’abbaye de Saint -Pons: tous les actes, legs et donations confirment les droits et les possessions de l’abbaye de Saint Pons. Les pélerinages sont nombreux: à Saint Pons pour le corps du saint du même nom, à Castres pour les reliques de Saint Vincent, à Toulouse pour le corps de Saint Sernin. (Saturnin, Sernin ne sont que les deux versions du même nom. Il s’agit dans les deux cas du martyre chrétien après la mort duquel on a édifié la basilique Saint Sernin de Toulouse). Et bien sûr, le plus fameux des pèlerinages, Compostelle pour le tombeau de l’apotre Jacques. Le chemin de Saint Jacques reconstitué actuellement fait passer la Voie d’Arles au nord de la commune (GR 653).
Vers 1166-1167, Raymond V de Toulouse fait construire un chateau fort, au lieu dit appelé aujourd’hui le Castel sur la Serre du Batut. En 1202, il est connu sous le nom de “la bastida de Rovoirosa “car il est bati sur une dépendance de la chatellenie de Rouairoux.
Les habitants commencent à se regrouper autour de cette place forte sous la forme d’une bastide dont la charte de fondation date de 1224. La croisade des Albigeois prêchée à partir du concile de Lombers (1165) a dû marquer durablement le pays, même si nous savons peu de choses sur ce qui s’est passé à Labastide même. Mais, tout près, à Minerve, Hautpoul, Lavaur, Béziers, les buchers se dressent, les cathares périssent ainsi que des dizaines de milliers d’innocents. A Mazamet, le musée du catharisme propose une visite très intéressante pour mieux comprendre cette époque tragique.
En 1361, le Languedoc est rattaché à la couronne de France. A Labastide, un baile, assisté de deux sergents et un viguier, nommé par l’évêque de Saint-Pons gèrent les affaires judiciaires. Ils dépendent de la viguerie de Béziers, subordonnée à la sénéchaussée de Carcassonne.
Le Moyen-Age se poursuit. On signale la présence des Anglais (guerre de Cent Ans) entre 1377 et 1390 avec la prise de Cassagnoles (à 15 km de Labastide ). Comme le sel est un monopole d’Etat, les faux-sauniers, poursuivis par les gabelous, passent en fraude le sel du Bas-Languedoc : l’un de ces sentiers entre La Feuillade et Robert porte encore le nom de “cami de la sal”.
Avec l’arrivée dans notre contrée de la Réforme impulsée par Calvin et Luther, des troubles graves eurent lieu entre catholiques fidèles à l’église de Rome et protestants, calvinistes ou luthériens: embuscades, massacres, attaques, raids...le fort du Castel est démoli en 1628 sur ordre de Richelieu comme la plupart des places fortes françaises. Après la révocation de l’Edit de Nantes (1685), le temple de Labastide est rasé. Les protestants locaux en sont réduits à pratiquer leur culte au “Désert” dans des assemblées clandestines. Quant à l’église paroissiale, brulée en 1567, elle ne fut reconstruite qu’en 1658 et achevée en 1708. A droite de la porte d’entrée, on peut voir la pierre sépulcrale d’Alexandre Victor Rouanet, né à Labastide en 1747 et qui fut évêque constitutionnel de l’Hérault durant la Révolution.
Au XVII° siècle, le fait marquant pour notre village est l’affaire Calas, condamné à être roué vif et dont Voltaire prit la défense en écrivant le “traité de la tolérance.” En effet, Jean Calas, né en 1698 à Lacabarède, était l’arrière-petit fils de David Calas, commerçant à Labastide.
A la Révolution, Labastide fait d’abord partie du département de l’Hérault, district de Saint Pons jusqu’en février 1797 où elle rattachée ainsi que le canton d’Anglès au département du Tarn.
Les activités? Elles étaient celles d’un bourg de moyenne montagne utilisant les ressources locales: avec la forêt, on fabrique des sabots, des piquets de vigne (païssels), on utilise le bois pour le chauffage, le mobilier et la construction. Les châtaignes, crues, cuites, bouillies, fumées fournissent un apport important de protéines pour les hommes et les bêtes. Les bois fournissent également des quantités importantes de combustible pour les fours à verre qui ronflent plusieurs mois par an. Avec la soude ou la potasse obtenue par incinération de végétaux, du sable et divers colorants, les maitres verriers fabriquent dames-jeannes, vaisselle vinaire, bagues de cantre (lieudit la Bagassière). Avec les ressources minérales, on récupère le minerai de fer (Font de Santé), on clive les ardoises, lauzes ou dalles pour les dallages, la protection des murs ou les couvertures de toit (Le Lauzié, La Lauzade ...) Quant à l’eau abondante, elle meut moulins à blé, moulins foulons, moulins drapiers, scies hydrauliques (la Mouline, Les Moulis, la Resse...)
Et la laine ? Avec le mouton présent en abondance, la qualité des eaux, les savoir-faire séculaires, l’utilisation de la laine est attestée depuis des temps immémoriaux. Les écrits parlent de tisserands dès le XII° siècle en vallée du Thoré sous forme de filage et de tissage artisanal à domicile. Mais filage et tissage n’étaient pas les seules opérations nécessaires pour produire des draps de qualité. Etaient nécessaires en amont, l’élevage et la sélection, le dégraissage et le lavage des toisons, en aval, le foulage, le catissage, la teinture. Toutes ces opérations donnent naissance à des corps de métier spécialisés. Au XVI° siècle, l’arrivée des protestants en Montagne Noire aboutit à la création de vrais centres de production orientés surtout vers la fabrication de draps de laine. Avant la Révolution, on compte 400 ouvriers sur des métiers à tisser manuels. En 1820, la première “mécanique à filature”, d’origine anglaise, est mentionnée sur un plan de Labastide. Le cadastre de 1838 mentionne quant à lui 6 moulins foulons, 2 filatures, une fabrique, 3 teintures, 2 apprêts. Sous le Second Empire, avec l’industrialisation, se créent de grandes filatures (Bourguet, Barthe) avec des machines à vapeur et des manufactures (Mercier, Icher, Clavel ). La manufacture Armengaud, créée en 1880, abrite aujourd’hui les locaux du Musée départemental du Textile, créée en 1983 et entièrement rénové en 2008. En 1888, le chemin de fer arrive à Labastide-Rouairoux. La dernière vague de constructions sont des ateliers sous verrières au début du XX° siècle.
La vallée du Thoré se spécialise : à Mazamet, c’est le délainage et la mégisserie. A Labastide-Rouairoux, c’est le textile et toutes les opérations annexes. Le savoir-faire des tisserands, la réputation des produits, la qualité des dessins, l’innovation placent les tissus bastidiens au tout premier rang français. On dit alors “Labastide, c’est l’Elboeuf du sud”. La renommée des tissus “Haute Nouveauté” passe les frontières nationales. En 1944, la commune atteint 3390 habitants. Plus de 2000 ouvriers travaillent dans les 30 usines de la ville, sans compter les ateliers de tissage des façonniers, c’est -à-dire qui travaillent à domicile.
Mais l’activité textile, comme toutes les activités de main d’oeuvre, n’est pas épargnée par les restructurations et les délocalisations. Malgré des barouds d’honneur, les usines ferment les unes après les autres.
Aujourd’hui, le village de Labastide-Rouairoux perpétue la mémoire de son passé industriel avec le Musée Départemental du textile, le Comité textile qui regroupe d’anciens artisans et leur savoir-faire, et la Fête du Fil qui a lieu chaque année au 15 août. Le village, qui a perdu nombre d’habitants depuis plusieurs décennies, est bien décidé à continuer à aller de l’avant: réaménagement des berges du Thoré après les inondations catastrophiques de 1999, reconversion de friches industrielles, mise en valeur des ressources locales, filière bois, tourisme, énergies renouvelables.
Gérard Bastide, Maire-adjoint à la culture de 2008 à 2014. (janvier 2009)
sources :
* histoire de Labastide-Rouaioux (Ayechet-Dauzats )
* les chemins à travers les ages (Pierre A. clément )
* histoire de Labastide-Rouairoux (Fernand Pech)
* histoire de Labastide-Rouairoux (Jean-Pierre Ferrer)
* Saint Jacques de Compostelle et le chemin d’Arles (Louis Laborde-Balen)
* guide de découverte du Tarn (Jacques André )
* écomusée de la Montagne Noire (dossier n° i)
* Echos-musée n°3, cent ans d’industrie textile
Cartes postales anciennes. collection privée. P cathala